Début avril, l’association Utopia56 a rendu publique une liste de 37 amendes dressées contre ses bénévoles entre le 19 mars et le 8 avril, alors qu’ils distribuaient du matériel et de la nourriture à des exilés à Calais. Le document est accompagné d’une vidéo dans laquelle un policier exprime clairement son intention d’« user » les militants en multipliant les contrôles et les amendes. Le 1er mai, les Brigades de solidarité populaire de Montreuil organisaient une distribution gratuite de fruits et légumes, leur action de solidarité sera interrompue par une trentaine de policiers, avec cette justification inédite : « action revendicative », interdite durant le confinement, les participants sont verbalisés.
Les entraves au travail des associations ne sont pas un phénomène nouveau. On se rappelle la coupure de subventions du ministère de la Justice au Genepi qui intervient dans les prisons, de la multiplication des procédures judiciaires à l’encontre des membres du Comité Adama, des moyens colossaux déployés par la police et la justice pour empêcher toute contestation de l’installation du centre d’enfouissement des déchets nucléaires à Bure.
Ce sont aussi des associations antiracistes, plus particulièrement celles défendant les droits des musulmans, qui sont publiquement attaquées et disqualifiées. Amendes, procès pour outrage ou diffamation, coupes arbitraires de subvention, refus d’accès à des locaux publics, atteinte à la réputation, ostracisation et mise au ban des espaces partenariaux… Depuis près d’un an, l’Observatoire des libertés associatives, composé d’associations et de chercheurs, documente des dizaines de cas d’entraves à l’action ou à la parole des associations par les pouvoirs publics. Son premier rapport, à paraître à la rentrée, analyse 100 cas de répression et propose des pistes pour sortir de l’impasse démocratique dans laquelle nous sommes : une défiance des institutions à l’égard des contre-pouvoirs citoyens.
Culture de la défiance
Ces attaques contribuent à rendre plus coûteux l’engagement militant, à décourager l’investissement bénévole, et à « user » les bonnes volontés. Elles créent une culture de la défiance et suscitent le désengagement : quand critiquer le pouvoir peut conduire à perdre un financement, voire son emploi, on y réfléchit à deux fois. L’autocensure peut être si intégrée qu’elle n’est plus consciente…
Nous avons pourtant plus que jamais besoin des contre-pouvoirs que sont les associations. Plutôt que de les voir comme des adversaires, il est urgent de développer une autre conception du pouvoir, davantage à l’écoute des acteurs de terrains et des expertises citoyennes critiques. Dans les périodes de crise (sanitaire, économique, sociale, écologique) qui risquent de se multiplier dans les années à venir, les autorités publiques se voient doter d’une responsabilité et d’un pouvoir immense. Le risque d’erreur ou d’abus de pouvoir liés à des décisions unilatérales est accru. Et le rôle des associations actives dans la défense des droits est décisif pour limiter ce risque et protéger les libertés individuelles et collectives.
Citoyenneté collective
Les derniers mois ont permis de le prouver. La vigilance de la Quadrature du Net et la Ligue des droits de l’Homme a permis de mettre fin à l’utilisation abusive des drones à Paris. Une association de patients comme Renaloo a demandé et obtenu du ministère des Solidarités et de la Santé que les proches des malades puissent cesser leur activité professionnelle afin de limiter le risque de contaminations intra-familiales. Dans les quartiers populaires, comme à Angers, via la coordination Pas Sans Nous, des associations ont permis à des citoyens d’introduire des recours juridiques après avoir reçu par la Poste des amendes pour défaut d’attestation de sortie sans avoir même été contrôlés. Constatant les contraventions et mesures abusives touchant les cyclistes, la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB) a obtenu que l’Etat reconnaisse la liberté de se déplacer à vélo durant le confinement.
Ces cas démontrent l’importance de la citoyenneté collective en temps de crise. Plutôt que de réprimer le rôle critique des acteurs associatifs, il faut à l’inverse le reconnaître, l’encourager, le soutenir sans l’étouffer. La première mesure à prendre consisterait, à l’image des lanceurs d’alerte et des délégués syndicaux, à reconnaître la fonction d’interpellation et de défense des droits, des associations et leur permettre de bénéficier d’une protection renforcée en cas de mesures de rétorsions abusives. Les travaux de l’Observatoire ont abouti à la formulation de onze autres propositions qui esquissent une transformation institutionnelle et démocratique décisive.
Les acteurs critiques et les mouvements sociaux sont un bien commun, une vigie face à la tentation autoritaire que suscite toute crise et l’urgence d’y répondre. Face aux tempêtes qui s’annoncent, des pouvoirs publics plus modestes et à l’écoute d’une pluralité d’opinions sont la condition d’une société plus résiliente.
Premiers signataires : Arnaud Schwartz, président de France Nature Environnement, Malik Salemkour, président de La Ligue des droits de l’homme, Sihem Zine, présidente Action droit des Musulmans, Gilles Rouby, président du Collectif des associations citoyennes, Mohamed Mechmache, président de la Coordination Pas sans nous, Emmanuel Poilane, président du Crid, Adrien Roux, directeur de l’Alliance citoyenne et de l’Institut Alinsky, Khedidja Mamou, présidente d’APPUII, Jean-Luc Prévost, Fédération des Arts de la rue, Michel Rousseau, co-président de Tous Migrants, Léa Gauthier, co-présidente de VoxPublic, Elise Van Beneden, présidente d’Anticor, Manon Laurent, ReAct, ainsi que les membres du conseil scientifique de l’Observatoire des libertés associatives : Marie-Hélène Bacqué, Romain Badouard, Hélène Balazard, Julia Cagé, Marion Carrel, Vanessa Codaccioni, Benjamin Ferron, Guillaume Gourgues, Stéphanie Hennette-Vauchez, Jean-Louis Laville, Marwan Mohammed, Julien Talpin, Karel Yon.