L’Observatoire nantais des libertés (ONL) publiait le 26 juin, après la fête de la musique 2019, un communiqué avec pour titre : Comment est-il possible qu’une dizaine de personnes tombe dans la Loire à la suite d’une intervention de la police ?
Près d’un an après, l’ONL pose les questions suivantes :
1. Pourquoi une intervention de la police a-t-elle eu pour conséquence de mettre en danger les jeunes venus écouter de la musique et faire la fête alors que sa mission principale était de sécuriser les lieux et protéger les personnes ?
Tout est parti du fait que ce 22 juin 2019 la police a voulu faire cesser la partie de la fête de la musique qui se déroulait quai Wilson à 4 h du matin. Plus d’une semaine après les faits, un responsable des associations organisatrices de l’événement de musique électronique sort atterré de la préfecture. « La préfecture considère que la soirée était illégale... Or cela fait vingt ans que les collectifs participent à la fête de la musique… » [1].
Deux jours après la disparition de Steve Maïa Caniço, le préfet de Loire-Atlantique affirme que « les organisateurs avaient été prévenus que la musique devait s’arrêter » [2]. Dans la presse, le Directeur départemental de la sécurité publique (DDSP) par intérim qui se trouvait en salle de commandement à la préfecture rapporte qu’à 4 h un cadre de police sur place demande l’arrêt des sound systems, ce qu’ils font tous. Un seul relance un morceau. C’est à ce moment que la tension est montée, que les policiers ont mis leurs casques, ont, semble-t-il, reçu des projectiles et riposté avec du gaz lacrymogène [3].
L’intervention de la police a été faite par une vingtaine de policiers de la brigade anticriminalité (BAC) et de la compagnie départementale d’intervention (CDI). On peut s’interroger sur la pertinence de confier une mission à ces unités qui ne sont nullement spécialisées dans des opérations de maintien de l’ordre, dans le contexte rappelé ci-dessus.
Les personnes présentes expliquent qu’elles étaient aveuglées par un air saturé de gaz lacrymogène qui empêchait toute visibilité et a créé confusion et panique en un endroit où il y a peu de distance entre la route et le quai de la Loire sans garde-corps ce qui a conduit à ce que des personnes tombent dans le fleuve.
Le préfet a justifié l’intervention des forces de l’ordre avant de rajouter : « Face à des gens qui avaient beaucoup bu et qui avaient sans doute pris de la drogue, il est difficile d’intervenir de façon rationnelle ». Pourtant, en 2017, des policiers constatant les dangers encourus par les jeunes célébrant la fête de la musique quai Wilson avaient refusé d’employer la force pour évacuer les lieux [4]. Qui plus est, le DDSP ne conteste pas avoir dit au commissaire sur place de « stopper tout de suite les jets de lacrymogène » [5]. Enfin, rappelons que dans un rapport du 22 juin 2019, les CRS arrivés « en appui » à 4 h 45 expliquent avoir refusé « l’utilisation de tous moyens lacrymogènes pour éviter des mouvements de panique et les possibles chutes dans le fleuve voisin » [6].
Le rapport de l’Inspection Générale de l’Administration (IGA) confirmera que « …les policiers ont fait usage de trente-trois grenades lacrymogènes, dix grenades de désencerclement et de douze tirs de lanceur de balle de défense »... en pointant « un manque de discernement dans la conduite de l’intervention de police »… disant que les forces de l’ordre ont agi « dans le cadre de la légitime défense », tout en notant que [l’opportunité de l’opération] « peut être mise en doute ».
2. En quoi était-il si urgent d’arrêter la musique alors que les jeunes ne dérangeaient sûrement pas des riverains puisqu’il n’y en a pas ? Pourquoi un tel besoin d’« ordre » alors que nous sommes dans la fête de la musique ?
Il semblerait qu’un arrêt de la musique était prévu à 4 h. Mais, cet horaire n’a pas été fixé très formellement et est une nouveauté. « La Sécurité nautique Atlantique (SNA) mandatée par la ville pour patrouiller sur la Loire jusqu’à 8 h, indique n’avoir « jamais eu d’info indiquant que la fête finirait à 4 h » [7].
3. Comment donner du crédit au rapport de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) ? Comment ne pas y voir l’instrumentalisation de cette dernière ?
Le ministre de l’Intérieur a saisi l’IGPN pour déterminer si l’intervention des policiers nantais a été menée dans un cadre légal et proportionnée. C’est le Premier ministre qui rendra public ce rapport sans attendre une quelconque investigation judiciaire. Au lieu de répondre aux questions, le rapport disponible dès le 16 juillet mais sorti au lendemain de la découverte du corps de Steve Maïa Caniço dans la Loire le 29 juillet affirme : « Il ne peut être établi de lien entre l’intervention de la police et la disparition de Steve Maïa Caniço ».
L’IGPN est une institution rattachée au ministère de l’Intérieur, à la fois juge et partie. Cette affaire interroge la nécessité d’une autorité indépendante, comme cela existe dans la plupart des pays européens.
En toute circonstance, les interventions de la police doivent être réalisées de manière adaptée et proportionnée. L’ONL demande quelle a été la stratégie d’intervention adoptée par les forces de l’ordre. Comment justifier que cette intervention avec l’utilisation de telles armes, sur un lieu festif lors de la fête de la musique, était proportionnée ? Pour l’ONL, comment ne pas considérer qu’il s’agit là de violences policières ?
Ce qui s’est passé le 22 juin dernier au matin marque une volonté d’utiliser la méthode de la répression y compris dans cette circonstance toute particulière de la fête de la musique et repose des questions sur certaines pratiques d’intervention de la police.
L’ONL estime que la banalisation tant de l’usage de la force que de l’utilisation des armes dites intermédiaires par la police quelle que soit la situation a pu conduire aux évènements graves survenus le 22 juin 2019 quai Wilson à Nantes.
Il appartient à la Justice d’exercer de manière indépendante le contrôle de l’action des forces de l’ordre, comme pour tout justiciable. Il s’agit là du plein exercice de la séparation des pouvoirs, condition du fonctionnement démocratique de notre société.
L’ONL continue de demander que toute la lumière soit faite, la vérité connue sur ce qui s’est passé, que les responsabilités tant individuelles qu’institutionnelles soient établies et donnent lieu à des poursuites judiciaires. Toutes les leçons de cette affaire doivent être tirées pour que ce type de situation ne se reproduise pas.
L’Observatoire nantais des libertés avec les associations Association Républicaine des Anciens Combattants, Attac, Droit au logement, France Palestine Solidarité, Ligue de l’Enseignement-Fédération des Amicales Laïques, Ligue des droits de l’Homme, Maison des Citoyens du Monde, Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples, Mouvement National de Lutte pour l’Environnement, Syndicat de la Médecine Générale, Syndicat des Avocats de France, Tissé Métisse.
Contact : ONL@rezocitoyen.net