Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs,
Le collectif Migrants outre-mer souhaite attirer votre attention sur le projet de loi relatif à l’asile et à l’immigration sur lequel vous serez prochainement appelé-e-s à vous prononcer.
Ce collectif rassemble les principales associations agissant aux niveaux national et local pour la défense des droits des personnes migrantes en outre-mer et dispose à ce titre d’une expertise sur l’état des pratiques et les politiques migratoires mises en œuvre dans ces territoires.
Un laboratoire ultramarin de recul des droits au prétexte d’une invasion migratoire fantasmée
En matière d’immigration, force est de constater que les territoires ultra-marins constituent un laboratoire de reculs des droits [1], notamment par l’instauration de législations et dispositifs dérogatoires au droit commun, portant violation des droits fondamentaux des personnes migrantes, qui sont, par la suite, généralisés à la France entière.
En effet, ce projet de loi vise à la généralisation des audiences par visioconférence [2] et conforte la procédure luttant contre les reconnaissances de paternité frauduleuses, circonscrites jusqu’à présent dans certains territoires ultramarins [3].
Depuis de nombreuses années et au prétexte d’une invasion migratoire sur ces territoires largement fantasmée [4], un régime dérogatoire du droit commun y prévoit des droits au rabais qui facilitent les interpellations, autorisent l’exécution des expulsions sans contrôle d’un juge et réduisent l’accès au droit au séjour.
Ce projet de loi confirme cette logique en prévoyant de nouvelles dispositions dérogatoires qui aggravent en Guyane les conditions d’accueil des personnes en demande d’asile et restreignent à Mayotte les conditions de délivrance du document de circulation pour les mineur-e-s de nationalité étrangère.
Un régime dérogatoire qui sacrifie des droits fondamentaux
En matière de contrôle d’identité, des dispositifs de contrôle exceptionnels qui s’affranchissent des garanties les plus élémentaires sont mis en place [5]. En Guyane, des barrages de gendarmerie sont installés sur les deux principaux axes routiers qui desservent Cayenne et ses administrations, instituant ainsi des contrôles d’identité généralisés, sur la route nationale qui longe la côte où réside plus de 90% de la population guyanaise, lesquels constituent des obstacles au droit à la santé ou encore au principe d’égalité d’accès aux services publics qui génèrent notamment de graves entraves au dépôt de demandes de carte de séjour.
Ce régime d’exception vient également tailler dans les garanties de contrôle juridictionnel des procédures d’enfermement et d’expulsion.
Alors que ces territoires concentrent la moitié des expulsions réalisées chaque année, l’effectivité des recours contre les décisions préfectorales n’est pas garantie contrairement à la métropole. Si le dépôt d’un recours en urgence suspend désormais l’éloignement jusqu’à son examen [6], son champ d’utilisation reste restrictif et la majorité des renvois sont exécutés sans avoir pu enclencher cette procédure.
Mayotte reste le seul territoire où le contrôle de la procédure de placement en rétention et des conditions d’enfermement est quasi inexistant : le juge compétent intervient après cinq jours d’enfermement (contre 48 heures dans le reste de la France), alors que les personnes sont généralement expulsées en moins de 24 heures et que son centre de rétention y accueille massivement des personnes particulièrement vulnérables comme des enfants.
Le statut des personnes en situation régulière est également dégradé sur ces territoires, à l’image de la suppression ou l’inapplication des garanties d’accueil durant la procédure de demande d’asile (abaissement en Guyane voire absence à Mayotte de l’aide financière sans possibilité de travailler, quasi inexistence de dispositif d’hébergement et domiciliation des personnes en demande d’asile concentrée à Cayenne) ou encore la restriction géographique de la validité des titres de séjour et des autorisations de travail en découlant.
Sous couvert de prévenir un supposé appel d’air, ces dispositions conduisent à précariser les personnes migrantes, à réduire l’accès à leurs droits et à freiner leur intégration une fois régularisées.
Une politique qui attise le rejet des personnes étrangères et justifie des violences
Nous constatons que cette politique migratoire, qui a pour objectif de réduire les mouvements de population pourtant régis par des dynamiques régionales historiques, est dans l’impasse. Elle participe des tensions sociales de plus en plus violentes en alimentant l’idée d’une immigration massive comme facteur des inégalités économiques et sociales sévissant dans les outre-mer.
Cette approche répressive s’applique dans un contexte où les infrastructures et les services publics sont bien souvent faibles voire inexistants, notamment en matière d’accès aux administrations, à l’éducation, aux logements et aux soins [7]. La saturation de ces dispositifs, pourtant chroniquement sous dimensionnés, nourrit les discours politiques qui stigmatisent les personnes étrangères désignées comme responsables de ces carences. Les tensions très fortes et les violences exercées à l’égard des personnes migrantes, en particulier à Mayotte depuis 2016, sont autant de dérives auxquelles conduit cette politique.
Pour un changement de politique
Le collectif Migrants Outre-mer défend des mesures permettant de garantir un accueil digne et le respect des droits fondamentaux pour tous et sur l’ensemble du territoire français, notamment [8] à travers les propositions suivantes :
- Aligner la législation applicable en outre-mer sur le droit commun et mettre ainsi un terme à un régime d’exception contraire à un État de droit, qui justifie des droits au rabais et permet tous les abus, notamment en priorité :
– rendre suspensifs les recours contre toute mesure d’éloignement
– rétablir à Mayotte l’intervention du juge judiciaire sous 48 heures à compter du placement en rétention.
– supprimer les dispositifs exceptionnels de contrôle
– rendre pleinement applicables sur l’ensemble du territoire français les titres de séjour délivrés en outre-mer et notamment à Mayotte
– rétablir des conditions d’accueil dignes pour les demandeurs d’asile en Guyane et à Mayotte en leur garantissant le bénéfice des aides prévues en métropole, et la fourniture d’un hébergement et d’une domiciliation effective pendant leur procédure
- Mettre un terme à l’enfermement des enfants en rétention, notamment à Mayotte où il s’opère massivement (4 285 enfants enfermés en 2016) et sans contrôle.
Par ailleurs, il est temps de penser autrement la présence des territoires ultramarins dans leur environnement. En isolant de plus en plus les uns des autres par un fossé économique croissant, par une frontière de plus en plus infranchissable, par des dénis de droit quotidiens à l’égard des « étrangers » venus des territoires voisins, on ne fait qu’éloigner la perspective d’une solution durable aux tensions actuelles.
Nous espérons pouvoir vous compter parmi celles et ceux qui soutiendront ces positions et nous nous tenons à votre disposition pour en discuter.
Vous remerciant de votre attention, nous vous prions de recevoir, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, nos meilleures salutations.
Migrants Outre-Mer (Mom)
Signataires :
ADDE (Avocats pour la défense des droits des étrangers), Aides, CCFD (Comité catholique contre la faim et pour le développement), La Cimade, Collectif Haïti de France, Comede, Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigré⋅e⋅s), Elena, Fasti (Fédération des associations de solidarité avec tou-te-s les immigré-e-s), LDH (Ligue des droits de l’Homme), MDM (Médecins du monde), Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), OIP (Observatoire international des prisons).