Burkina : que peuvent les Balais citoyens contre les kalachnikovs ?

1er octobre 2015

Par Joan Tilouine
Le Monde.fr Le 24.09.2015 à 15h20 • Mis à jour le 24.09.2015 à 18h32

Au lendemain du coup d’Etat survenu au Burkina Faso le 17 septembre, les leaders du collectif Balai citoyen ont à la fois appelé à la « désobéissance civile » et au calme pour empêcher « tout pillage, casse ou vandalisme ». Un peu partout dans le pays, des manifestations ont éclaté. Et sur les réseaux sociaux ont circulé les images des victimes des balles des militaires et des femmes armées de simples spatules et de balais : le symbole de ces activistes déterminés à unir et inspirer une jeunesse africaine asphyxiée par des dictateurs à « balayer ». Face à la violence exercée par les putschistes, cette nouvelle génération de militants pacifiques est-elle armée pour entretenir l’esprit de résistance ?
Depuis Bruxelles où il vit en exil, Yangu Kiakwama a suivi heure par heure l’évolution de la situation à Ouagadougou en pensant à son propre pays, la République démocratique du Congo (RDC). Ce quadragénaire a dû quitter précipitamment Kinshasa le 15 mars, date d’une réunion organisée par le mouvement citoyen Filimbi (sifflet en swahili), dont il reste le porte-parole, dans la capitale congolaise. La diplomatie américaine soutenait l’événement. Les activistes congolais avaient convié leurs « frères » sénégalais de Y en a marre, un mouvement citoyen qui a contribué à chasser du pouvoir Abdoulaye Wade alors qu’il briguait un troisième mandat en 2012.

Répression au Congo Kinshasa

Des représentants du Balai citoyen étaient aussi de la partie. Mais les forces de l’ordre ont brutalement mis un terme à cette réunion décrite par le gouvernement comme une « tentative de déstabilisation » fourbie par un « groupe anarchisant ». Et deux militants de Filimbi ont été incarcérés. « Blaise Compaoré et Joseph Kabila sont tous deux des militaires devenus des présidents prêts à abuser du pouvoir, à modifier les Constitutions pour prolonger leur règne, explique depuis Kinshasa Samy Badibanga, député UDPS (opposition). Ces nouveaux mouvements de la société civile aux revendications légitimes et morales effraient ces pouvoirs qui règnent par la force. Sauf que les armes et ceux qui les tiennent ne peuvent plus venir à bout de la rue. Balai Citoyen l’a démontré. »
Fer de lance du soulèvement qui a mené à la chute du chef d’Etat burkinabé Blaise Compaoré, le 31 octobre 2014, ce mouvement citoyen burkinabé coordonné par des artistes, avocats, journalistes et étudiants avait orchestré avec brio la mobilisation populaire. Ce n’est pas un hasard si les responsables sécuritaires congolais avaient à l’époque dépêché à Ouagadougou des éléments de l’ANR, leur puissant service de renseignements, pour observer et analyser le rapport de force entre le pouvoir de Blaise Compaoré et cette foule menée par le Balai citoyen.
« Notre nombre est notre force ! », clame le Balai citoyen. « Seul on ne peut rien ! », résonne le credo des Congolais de Filimbi. « Ce qui s’est passé au Burkina Faso a été, selon nous, un combat d’arrière-garde mené par des militaires anachroniques ; l’ancien monde face au nouveau monde que nous portons », explique à Bruxelles Yangu Kiakwama, le porte-parole congolais de Filimbi, qui est en contact permanent avec le rappeur Smockey, cofondateur du Balai citoyen. Et d’ajouter : « Les balles des militaires ne peuvent venir à bout de tout un peuple qui se soulève pour contester un système qui ne laisse pas de place à l’épanouissement d’une jeunesse qui constituera la moitié de la population d’ici à 2050. Si nous ne pouvons pas affronter ces hommes en armes, nous œuvrons pour contenir la force et les dissuader de commettre des crimes. »

De nouveaux mouvements au Gabon, au Cameroun et au Zimbabwe

En trois ans, ces activistes africains 2.0 sont devenus la bête noire de régimes qui vivent dans l’angoisse d’un nouveau « printemps africain ». D’Alger à Kinshasa en passant par Brazzaville et Libreville, ces mouvements citoyens à la gouvernance horizontale composés de jeunes militants brillants et décomplexés – notamment sur les financements occidentaux dont ils bénéficient – bouleversent le rapport de force. Ils renouvellent des sociétés civiles et prennent le relais de syndicats et d’associations souvent usés. Ce qui leur vaut d’être pris pour cible.
Au Burkina Faso, les putschistes du RSP, le régiment de sécurité présidentielle, n’ont pas hésité à traquer et à menacer physiquement les responsables du Balai citoyen et leurs partisans. Pour tenter de les faire taire, des militaires du RSP ont ainsi usé de leur lance-roquettes pour incendier le studio d’enregistrement de Smockey, connu pour les paroles de ses morceaux qui vilipendent la corruption et la mauvaise gouvernance. Le domicile du reggaeman populaire Sams’k Le Jah a aussi été réduit en cendres. Tous deux sont les fondateurs du Balai citoyen. « Les paroles et les écrits sont les seules armes de ces mouvements non violents qui peuvent révéler leurs limites face aux armes et aux menaces de putschistes ou encore face à une violence d’Etat. Mais leur capacité de mobilisation massive reste leur bouclier », note Clément Boursin, du bureau Afrique de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture.
Inspirés par Y en a marre, au Sénégal ; Balai citoyen, au Burkina Faso ; Filimbi et Lucha, à Goma (est de la RDC), d’autres collectifs se structurent au Gabon, au Cameroun, en Guinée équatoriale, mais aussi au Zimbabwe. Cette nouvelle vague de militants entretient des relations étroites à travers les réseaux sociaux, échange réflexions, techniques de mobilisation, de sensibilisation électorale et autres méthodes d’action non violente. Leur espoir : former un mouvement panafricain.
Si elles ont démontré au Burkina leur capacité à renverser un régime, et au Sénégal, à protéger la Constitution, aucune de ces organisations n’est encore parvenue à gérer une transition. Balai citoyen se définit comme une « sentinelle », un gardien des valeurs de la « révolution » qui sensibilise les jeunes et mène des actions citoyennes. A Kinshasa, à Brazzaville, et dans les autres pays du continent où les présidents tentent de changer la Constitution pour briguer un énième mandat, pouvoir en place et activistes ont observé ce dernier affrontement entre le balai et le fusil. Comme si le Burkina Faso s’était transformé en un laboratoire de ce nouveau rapport de force. Ou en une boule de cristal prédisant des changements.