Point de vue. Un « glacis » face à l’avalanche migratoire

Par Chadia Arab

25 septembre 2015

Publié dans Ouest France le 14 septembre 2015

Le nombre de migrants (230 millions) représente 3,3 % de la population mondiale.

Une proportion relativement faible comparée aux grandes migrations du XIXe siècle. Cependant, depuis cinquante ans, on observe une accélération de ces mobilités internationales, confrontées à un protectionnisme migratoire jamais connu dans le passé. Ainsi, l’Europe se replie sur elle-même, derrière une barricade de dispositifs de surveillance. Cette politique migratoire de plus en plus sécuritaire, vise à former, selon l’expression du géographe Gildas Simon, un « glacis protecteur ».

Les tragédies consécutives entre les rives de l’Afrique et de l’Europe ont transformé la Mare Nostrum en véritable cimetière. Pourtant, aucun glacis protecteur ne résistera à ces avalanches migratoires fortement motivées par les inégalités sociales, économiques et politiques résultant des conflits, persécutions, changements climatiques et famines.

Les Syriens, pris en étau entre le régime de terreur de Bachar el-Assad et les djihadistes de Daech, n’ont pas d’autres choix que partir ou mourir. Ainsi, 11,7 millions d’entre eux, soit la moitié de la population, ont fait le choix forcé de la migration. Ils sont aujourd’hui plus de 4 millions en dehors de leurs frontières, dont plus des trois quarts installés dans les pays limitrophes : 1 805 000 en Turquie, 1 172 000 au Liban, 629 000 en Jordanie. Seuls 270 000 Syriens (6,7 %) ont demandé l’asile en Europe, obligeant le Haut-commissariat aux réfugiés à rappeler à l’Union son devoir de prendre sa part dans la gestion des réfugiés.

Avec 203 000 demandes, l’Allemagne était le premier récipiendaire en 2014, cumulant ainsi un tiers des demandes européennes, dont près de la moitié recevront une réponse positive. Pour 2015, le pays s’attend à environ 800 000 demandes d’asile.

En Suède, 81 000 demandes ont été déposées en 2014, avec 82 % de réponses positives. Le nombre de réfugiés syriens dans ce pays devrait atteindre 100 000 en 2015, soit 1 % de la population : un effort incomparable en Europe. La France, avec 64 000 demandes en 2014, est très loin des proportions germaniques ou suédoises et ne répond positivement que pour un tiers d’entre elles, soit 20 000 personnes, proportion équivalente aux seuls réfugiés admis en Allemagne le week-end dernier.
« 93 % des migrants ne vont pas en Europe »

Au total, seuls 30 000 Syriens se sont installés en France, soit 0,04 % de notre population : une goutte d’eau, loin du raz-de-marée annoncé par certains dirigeants politiques, notamment à droite. La relation historique avec la Syrie (administration française entre les deux guerres mondiales) et l’implication de Paris dans les conflits au Moyen-Orient et en Libye nous oblige, plus que d’autres, à gérer les conséquences prévisibles de ces moments tragiques de l’Histoire.

Dernier chiffre : 93 % des migrants n’atteignent jamais notre continent. Ils sont abrités par des nations bien plus pauvres et instables que les nôtres. Les qualités requises pour endurer leur épreuve devraient inspirer un profond respect, et non l’instrumentalisation qui instille le rejet du migrant.

Aussi, il serait intéressant de réfléchir à l’idée développée par quelques chercheurs à contre-courant des politiques migratoires actuelles : l’ouverture des frontières et la liberté de circulation.

(1) Chadia Arab est chargée de recherche au CNRS, université d’Angers