Ouvrir le Bardo et revivre

1er avril 2015

Textes et photos : Romain Ledroit

Moins d’une semaine après l’attentat au musée du Bardo à Tunis, la cérémonie de réouverture est l’occasion pour toutes et tous de faire place à l’avenir et soutenir la Tunisie de la démocratie.
La pluie bat le pavé, après les manifestants. Les drapeaux de la marche inaugurale du Forum Social Mondial de cet après-midi sont repliés ; le metro se meut lentement sur les rails, vers le centre-ville. La nuit tombe sur le musée du Bardo le 24 mars 2015, jour de la réouverture au public suite à l’attentat du 18 mars dernier.
Les informations étaient pourtant contradictoires. La réouverture de ce poumon historique et culturel de Tunis était sujette à controverse. En témoignent les cagoules et fusils des gardes armés, le fil barbelé longeant la route menant au Bardo, tout cela sous une pluie torrentielle qui s’abat sur Tunis en cette soirée du 24 mars. Dans la nuit tombante, le musée – d’un blanc immaculé sous les projecteurs – se veut phare : tout autant pour le peuple Tunisien que pour les nombreux participants au Forum Social.
Le monde est à Tunis
De l’hommage et du symbole. Ce nouveau souffle après la tempête se devait d’être exceptionnel. Orchestre de musique classique, discours et danse contemporaine jalonnent la soirée du recueillement. Depuis les marches, à l’intérieur du musée, une dizaine de jeunes danseurs s’affairent aux derniers préparatifs. La cohue couvre les voix, mais pas les sourires. Immobiles, au centre du musée, chacun porte un drapeau en hommage aux victimes britanniques, allemandes, japonaises, tunisiennes... qu’on se le dise, le monde est à Tunis, bien au-delà des murs de l’incontournable Université d’ El Manar.
Le groupe de danseurs - mosaïque de visages saisissante - contraste avec les nombreux invités, téléphone au poing, qui se faufilent pour immortaliser l’instant. Subitement, vient la musique ; criarde et saturée, excessive, mais c’est sans doute de circonstances. On délaisse les violons du classique pour les synthétiseurs. À ce moment précis, les drapeaux virevoltent dans l’ambiance électrique du Bardo ; les danseurs se ruent dans l’escalier, comme prêts à embrasser la foule avant de remonter les marches dans un va-et-vient aux limites de la chorégraphie. Tout est dans l’énergie. Les derniers curieux rejoignent cette communion de regards et de tweets, de photos et d’émotions.
Pas de place pour la violence
« Personne ne va nous arrêter. Notre pays est plus fort, notre peuple est plus fort. » Elle en aurait les larmes aux yeux. La mère d’une des danseuses se tourne vers l’avenir. Pour elle, l’attentat ne fait que renforcer l’identité d’un « petit pays avec une grande histoire ». Son souhait : une Tunisie libre et moderne, qui continue de rayonner pour le Maghreb et la communauté orientale. Le verbe est bref, mais la remarque essentielle : il n’y aura jamais de place pour les kalachnikovs et les grenades dans ce pays.
En haut d’un autre escalier, un petit drapeau tunisien lui aussi s’agite. Celui d’un jeune garçon, vêtu du costume traditionnel, qui décide de faire sa cérémonie. Loin des téléphones et des fastes de ce recueillement hautement symbolique, il restera son air espiègle et son sourire. Conscient de ce drame, mais bien là, debout, avec de la suite dans les idées. Vive la Tunisie.