« Faire vivre la liberté d’information »

Regard de militants au Forum Mondial Social

1er avril 2015

Christian LOSSON (à Tunis) 25 mars 2015
Publié sur le site de Libération :
http://www.liberation.fr/terre/2015/03/25/faire-vivre-la-liberte-d-information_1228307

A l’occasion du Forum social mondial de Tunis, du 24 au 28 mars, où 70 000 participants de plus de 130 pays doivent se réunir pour proposer des alternatives à un monde dans l’impasse, Libération.fr se propose de prolonger le regard de militants.

Erika Campelo, 39 ans, Brésil, co-coordinatrice du Forum mondial des médias libres et salariée du réseau Ritimo

« L’embryon du Forum mondial des médias libres n’est pas nouveau. L’idée des médias alternatifs a été portée par de réseaux comme Indymedia dès la fin des années 90, notamment au sommet de l’OMC de Seattle, sous le nom de "Don’t hate the media, become the media" (ne haïssez pas les médias, devenez les médias). Elle s’est articulée autour de la volonté de rompre avec la verticalité, l’homogénéité, l’accaparement des savoirs. Et de tenter de proposer autre chose que le copier-coller des trois plus grandes agences de presse mondiale ou le suivisme des chaînes d’information. Faire vivre au plus juste, au plus large, la liberté d’information, et, bien sûr, se réapproprier les enjeux autour des logiciels libres. Sa gestation, autour du FSM, s’est nouée à Bélem, au Brésil, lors de l’édition 2009. L’idée, alors, était simple : lutter contre le monopole de l’information au Brésil, où huit familles, qui jouent un rôle politique de premier plan, détiennent les principaux relais de presse, de radio ou de télé. Un problème de concentration et de diversité d’information qui n’est pas propre au Brésil. Je vis en France depuis 18 ans… Le monde, tel que relaté par les grands médias, est trop partiel et partial.
« Ce que l’on propose ici, c’est le droit à la communication au sens noble, à la production d’information et à sa démocratisation, à la liberté d’expression, même imparfaite. On va ainsi adopter pour cette 4e édition du FMML une charte mondiale des médias qui se veut un outil de lutte pour une information libre, un plaidoyer pour des productions d’informations autonomes, en marge de la marchandisation de l’information. Mais évidemment, ce n’est pas que de la théorie. La mise en pratique pendant le FSM de Tunis sera quotidienne. Avec des ateliers, par exemple, autour de l’imagination d’un monde sans médias libres, de briques Internet pour courcircuiter les fournisseurs d’accès. Une cinquantaine de personnes, blogueurs, journalistes, développeurs, hackers, sillonneront le forum pour en donner une autre lecture multimédia. Et seront accessibles sur les sites de nos partenaires, comme l’Association mondiale des radiodiffuseurs communautaires – dans lequel flamme d’Afrique est très présente ici —, l’agence de presse alternative inter press service, les Brésiliens de Ciranda, ou encore World Social TV. Ou enfin, Ritimo, pour laquelle je travaille, et qui depuis 25 ans, s’efforce de tisser un réseau d’info et de doc altermondialiste. C’est que l’on appelle une "couverture partagée" du FSM, sans rédacteur en chef, avec comme unique but de faire vivre la diversité des opinions et des mouvements.
« A travers le FMML, on veut aussi questionner la gouvernance d’Internet. Interroger et trouver des alternatives aux réseaux sociaux mainstream (Facebook, Twitter, etc.), qui cloisonnent, menacent notre vie privée, monnayent la vente de nos informations personnelles et cassent justement cette transversalité que l’on tente de promouvoir. Il faut s’inspirer de la culture du libre, comme Diaspora, un réseau social, qui ne présente pas les vices de son homologue Facebook. On peut également signaler une action ou un événement sur des agendas alternatifs comme Démosphère ou Mur mitoyen. Car aujourd’hui, malheureusement, le monde du digital ressemble de plus en plus à celui des supports physiques traditionnels. On a de l’espace, mais il faut le conquérir, se battre pour y trouver des interstices libres, dans lequel le système ne vous encadre pas en permanence. Même un enjeu méconnu du grand public, comme la neutralité du net, mérite une vigilance permanente : sinon, l’accès au débit sera forcément fonction de la taille de vos forfaits. »