Retour sur la rencontre avec Edwy Plenel

Article rédigé par Livia Verton (ReporteR MCM)

14 décembre 2016

Lundi 14 Novembre 2016 à l’espace Cosmopolis, Nantes.

« Dire Nous » : Rencontre avec Edwy Plenel

Dans le cadre des Semaines de la Solidarité Internationale organisées par la Maison des Citoyens du Monde, la salle était comble en ce lundi soir 14 Novembre 2016 à l’espace Cosmopolis pour venir assister à la discussion avec Edwy Plenel, ancien membre du journal Le Monde, écrivain, enseignant, co-fondateur et directeur du média en ligne Médiapart. C’est sur la base de son dernier livre intitulé « Dire Nous » que le journaliste et essayiste a invité l’assistance à prendre part à une réflexion autour de la thématique du vivre ensemble, également thème central de l’évènement proposé par la MCM, mais aussi autour de l’idée d’engagement. Ou comment faire société dans un contexte où les discours et les actes des uns et des autres semblent vouloir faire de nos différences un obstacle insurmontable plutôt qu’une source d’enrichissement et une force de transformation collective.

Ainsi, c’est en lien avec son enfance martiniquaise que Plenel débute son intervention en s’appuyant sur la pensée de Glissant lorsque celui-ci évoque la nature rhizome de l’identité, ou encore Césaire. Ces deux écrivains caribéens engagés en politique comme en poésie étaient profondément attachés à réparer les liens tranchés entre ces humains qui, aux prises avec un passé meurtri par les contentieux de l’histoire, peuvent se laisser tenter par les chemins dangereux de l’isolement et du ressentiment. Réparer les liens coupés en renforçant ceux qui résistent, malgré toutes ces différences, ces divergences, ces tensions.

De tension, il sera encore question, puisque comme une mise en garde, il cite également Antonio Gramsci qui écrivit « Le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à émerger, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ». Serait-ce ce à quoi nous assistons aujourd’hui ? Quels sont ces monstres qui menacent dans la pénombre ? Il semblerait bien que nous soyons effectivement en train de la vivre, cette époque tendue, entre-deux (entre deux « quoi » ?), en train de l’éprouver au sens de mettre à l’épreuve. Car ce qui ressort d’emblée des paroles de Plenel, c’est que cette époque nous défie toutes et tous chacun à son niveau. Il ne tient qu’à nous d’en faire émerger le meilleur, si vraiment c’est ce que nous souhaitons, pour nous-mêmes ou pour nos contemporains.

Questionner la démocratie : écouter et comprendre.

Dans un contexte de crise politique, de remise en cause des institutions, de défiance à l’égard de la chose politique, de durcissement des discours et des postures, le directeur de Médiapart pose la nécessité de défendre les trois mots de la devise républicaine « liberté, égalité, fraternité », ce qui implique de questionner la démocratie. Pour lui, il s’agit de rappeler qu’elle est distincte de la peur qui fige les hommes et les idées et qu’elle ne se résume pas au vote. Elle est indissociable du mouvement et de la création perpétuelle. Celle-ci ne peut survivre, ni garantir l’égalité sans l’idée de « cause commune ». De même, vouloir la liberté, c’est la vouloir pour soi et pour les autres, sans la nier à certains. Défendre les libertés individuelles prend ainsi tout son sens lorsqu’on s’en sert pour en faire un droit pour chacun. Quant à la fraternité, c’est notamment en soutenant les minorités et les marginalisés qu’elle se traduit.

D’ailleurs, face à la lutte pour l’égalité, il met en garde contre le leurre que constitue « la bataille des identités » qui n’est qu’une distraction, car pour lui, « c’est l’égalité qui met en mouvement les peuples ». Cependant, si la question de l’identité est et a été maintes fois instrumentalisée ou détournée, à l’image de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983 rebaptisée « marche des beurs » ou encore des récents débats sur l’identité nationale, il rappelle aussi le risque qu’il y a nier et à mépriser les aspirations au respect, à la dignité et à l’égalité des dites minorités, entraînant colère, crispations et ressentiment.

Parce que le social et le politique sont en lien, l’écoute et l’effort de compréhension (au sens de mieux connaître) sont essentiels. La création d’un « imaginaire supérieur » apparait comme plus que jamais nécessaire dans le but d’offrir un cadre fertile pour penser demain. Or, penser le « un » et le « nous » ne va pas de soi dans l’imaginaire politique actuel. Le journaliste en appelle donc à une « culture de la relation », à la construction de « l’identité-relation » de Glissant.

Un passé douloureux qui résonne au présent et défie l’avenir 

On peut supposer que la biographie d’Edwy Plenel n’est pas étrangère à l’acuité avec laquelle il semble comprendre à quel point une partie des débats qui animent la société française contemporaine sont à mettre en relation avec l’histoire coloniale de ce pays. En effet, il a passé son enfance en Martinique et il est le fils d’un ancien recteur d’académie anticolonialiste. Or la colonisation constitue une déchirure dans la mémoire collective dont la cicatrice reste sensible, rendant le dialogue compliqué. En tout cas, c’est bien la question de la construction de notre rapport collectif à l’autre qui aura occupé la majeur partie de son intervention à Cosmopolis.

Il rappelle que si la colonisation a consisté à s’inviter brutalement chez les autres, elle a aussi été le contexte d’une mise en question de l’humanisme. Et aujourd’hui, les peuples, toujours en quête d’émancipation, tracent leur propre chemin, développent leur propre questionnent « pour le meilleur et pour le pire » et force est de constater que c’en est fini de l’hégémonie européenne sur le reste du monde. Ce monde est aujourd’hui « inter et intra-culturel », mais le vieux monde s’accroche à ses privilèges.

Accepter la tragédie.

Tout en rappelant que c’est en Grèce qu’est né le concept de démocratie, mais aussi la tradition de la tragédie théâtrale, Plenel affirme que plutôt que de la nier ou de la fuir, il nous faut accepter cette tragédie contemporaine, afin de s’en enrichir pour mieux s’en libérer.

Il s’agit alors pour la France d’accepter de regarder le passé en face (l’esclavage et la traite, les crimes coloniaux, le génocide des juifs), sans repentance mais avec responsabilité et honnêteté ; d’affirmer le combat pour la liberté et le respect de la dignité de chacun tout en évitant la concurrence des mémoires ; soutenir et donner la parole aux personnes marginalisées, sans paternalisme.
Si « les institutions sont plus fortes que les hommes », nous avons cependant notre capacité de création collective à leur opposer.

Cette dernière réflexion nous semble fort appropriée. En effet, notre époque contemporaine à la croisée des chemins n’est-elle pas caractérisée par ces choix qui s’imposent à nous ? Accepterons-nous la fatalité ou choisirons-nous de défier le destin ?

Livia Verton.
ReporteR MCM

Notes :

  • L’ouvrage d’Edwy Plenel, « Dire Nous » est paru en 2016 aux éditions Don Quichotte
  • L’intervention du directeur de Médiapart n’a pas été sans nous rappeler l’ouvrage de Christiane Taubira, « Paroles de Liberté » publié en 2014 aux éditions Flammarion dans lequel l’ancienne garde des sceaux revient sur ces actes et ces discours qui cultivent la division, et comment il s’agit de les affronter en leur opposant, dans l’espace républicain, les actes, les discours et les valeurs qui construisent la cohésion le respect de l’autre et l’unité. Nous en recommandons vivement la lecture.