De quoi DAECH est-il le nom ?

24 mars 2016

Article publié sur le site de Ritimo le 14 janvier 2016, par CIIP (centre Ritimo à Grenoble), OLLIVIER Marc

Les attentats terroristes perpétrés à Paris le 13 novembre 2015 (130 morts et 500 blessés) ont provoqué un choc considérable en visant Paris, la veille de l’ouverture de la grande conférence internationale COP21 sur le climat, où étaient attendus 130 chefs d’États censés trouver une parade efficace au réchauffement du climat qui menace l’ensemble de l’humanité.
Ces attentats ont immédiatement été revendiqués par DAECH (acronyme qui signifie en arabe « État Islamique en Irak et au Levant »), organisation terroriste, spécialiste des décapitations mises en scène pour les réseaux sociaux, qui s’est constituée et développée en Irak et en Syrie à la faveur des conflits militaires, politiques et idéologiques qui ravagent le Moyen-Orient depuis le déclenchement de la guerre Irak-Iran par Saddam Hussein en 1980 (avec déjà le soutien des pays occidentaux).

Ces attaques meurtrières prennent place dans une longue liste d’assassinats et d’attentats commis par cette organisation, dont les plus récents sont intervenus à Jakarta (2 morts, le 14 janvier 2016), Istanbul (10 morts, 17 blessés, le 12 janvier 2016), à Tunis contre la garde présidentielle (12 morts, le 24 novembre 2015), Beyrouth (41 morts, 200 blessés, le 12 novembre 2015), dans le Sinaï contre un avion russe (224 morts, 31 octobre 2015), à Ankara (102 morts, plus de 250 blessés, le 10 octobre 2015).
Toutefois, l’aspect spectaculaire de ces attentats ne doit pas faire oublier que la plupart des crimes et des exécutions de masse qu’a commis DAECH concernent des musulmans et des pays arabes (Yazidis,Chrétiens et Chiites en Irak par exemple, mais aussi Alaouites, combattants de l’ASL ou d’Al Nosra en Syrie, Égyptiens, Libanais, Jordaniens etc ...).
Sommaire de l’article

D’où vient DAECH et en quoi consiste-t-elle ?

Il s’agit d’une organisation terroriste issue de la destruction de l’État irakien suite à la décision de G. W. Bush d’attaquer ce pays en 2003 sous un faux prétexte (les mythiques armes de destruction massive) et de l’occuper militairement.
Sa création remonte à 2006, lorsque Al-Qaïda en Irak forme avec cinq autres groupes djihadistes le Conseil consultatif des moudjahidines, qui proclame l’État islamique d’Irak. En 2012, il commence à s’étendre en Syrie et le 9 avril 2013, il devient l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) (en arabe الدولة الاسلامية في العراق والشام, ad-dawla al-islāmiyya fi-l-ʿirāq wa-š-šām, littéralement « État islamique en Irak et dans le Cham »), souvent désigné par l’acronyme arabe DAECH. Et le 29 juin 2014, DAECH annonce le rétablissement du califat sous le nom "État islamique" dans les territoires sous son contrôle et Abou Bakr al-Baghdadi se proclame calife.

Cette organisation a une base politique :
Elle est composée de sunnites irakiens et leurs chefs tribaux sur lesquels s’appuyait Saddam Hussein pour imposer sa dictature. Les sunnites irakiens sont à leur tour victimes du sectarisme des dirigeants chiites imposés par les États-Unis et soutiennent DAECH pour cette raison. Et celle-ci a trouvé une force militaire compétente et expérimentée parmi les officiers et les soldats de Saddam Hussein licenciés par les Américains. Cette base politique s’étend ensuite dans les régions sunnites qui reconnaissent le calife autoproclamé à Mossoul.

Elle a une base économique :
En effet elle s’est emparée des réserves de la banque centrale irakienne à Mossoul (évaluées à près de 300 millions d’euros) et contrôle une série de banques en Irak. D’autre part elle dispose d’une série d’autres sources de revenus : elle prélève des impôts sur les populations qu’elle contrôle (10 à 12 millions d’Irakiens et de Syriens), et exporte clandestinement, grâce à de nombreuses complicités, les productions des territoires conquis en Irak et en Syrie : pétrole et autres produits.

Elle a une base idéologique :

Une vision fondamentaliste de l’Islam des origines issue de la secte des Wahabites, née au 18ème siècle dans le contexte des luttes politiques de l’époque (qui est la religion officielle de l’Arabie saoudite), qui s’est inspirée elle-même d’exégètes controversés plus anciens (Ibn Taymiyya) de l’époque agitée du démantèlement de l’empire abbasside au 14ème siècle.
DAECH a utilisé cette idéologie pour créer un califat, semblable à celui des origines de l’Islam, avec un « calife » autoproclamé, c’est à dire un embryon d’État religieux destiné à imposer cette idéologie salafiste par la violence à l’ensemble des musulmans et à tous les peuples à condition qu’ils se soumettent à lui.
Comme le dit Éric Leser : La dimension apocalyptique et nihiliste de Daech ajoute à la fascination qu’il exerce. L’Etat islamique considère qu’il ne peut tout simplement pas être vaincu. Il remporte la victoire ou il est tué. Les combattants de Daech ne se sacrifient pas seulement par conviction religieuse : ils ont le culte de cette mort en martyr, car ils iront directement au paradis. Et ils y croient (La vraie nature de Daech, Le Monde 15.11.15).

DAECH s’est dotée d’un système de communication et de propagande performant :
Son idéologie totalitaire s’avère capable, en maîtrisant les techniques modernes de communication et à l’aide d’un réseau de recruteurs soigneusement formés, de fasciner des milliers de jeunes, filles et garçons soit de familles musulmanes soit récemment convertis à l’Islam, dans des dizaines de pays et en plusieurs langues. Il faut souligner que les facteurs qui conduisent à l’endoctrinement de ces jeunes et peuvent les pousser au "djihad" sont multiples. Pour les spécialistes, la conviction religieuse n’est pas le principal. Ce sont souvent les difficultés d’intégration (la marginalisation par le chômage) ou l’attirance par le fantasme d’un avenir "héroïque" qui font émerger ces parcours.

L’organisation dispose ainsi d’effectifs combattants importants

Les jeunes embrigadés se rendent en Irak et en Syrie, le plus souvent avec la complicité des autorités turques, pour devenir des combattants et pour certains des kamikazes de DAECH. Ou bien ils constituent des équipes de propagandistes clandestins dans leurs pays. Grâce à cet afflux de jeunes fanatisés (dont plusieurs centaines de Françaises et de Français), qui s’ajoutent aux forces initiales de l’organisation, sous l’encadrement des anciens officiers de Saddam Hussein et avec le soutien en armes et en moyens financiers de l’Arabie saoudite, du Qatar et de la Turquie, DAECH a constitué des groupes armés qu’on évalue entre 50 000 et 200 000 combattants, dont 30 000 environ, garçons et filles, seraient des étrangers venus d’autres pays arabes et même du monde entier.

Enfin DAECH règne sur un territoire qui s’étend en Irak et en Syrie :
Ses moyens militaires ont permis à l’organisation terroriste de conquérir de vastes régions, d’abord en Irak, en s’appuyant sur les tribus sunnites, puis en Syrie, avec la complicité de Bachar el Assad. Celui-ci voulait à tout prix pousser l’insurrection populaire pacifiste qui contestait son régime en 2011 à prendre les armes car il voulait l’écraser militairement. Pour renforcer l’état de guerre, il a favorisé l’expansion de DAECH en libérant les militants islamistes qu’il détenait dans ses prisons. Cette organisation a pu ainsi conquérir des régions peu peuplées à la frontière entre l’Irak et la Syrie ainsi que plusieurs villes dans ces deux pays, notamment Mossoul, la plus grande ville du nord de l’Irak, Rakka et Palmyre en Syrie.
Au delà de ces territoires centraux, DAECH dispose aussi d’enclaves extérieures occupées par des groupes terroristes aussi criminels et violents qui se sont déclarés membres du califat institué par l’État islamique. C’est le cas dans la zone sahélienne de l’Afrique subsaharienne avec Boko Haram et en Libye où divers groupes islamistes se sont ralliés à DAECH autour de la ville de Syrte.

En résumé, il faut donc considérer DAECH comme un nouvel avatar de mouvements islamistes terroristes inspirés par l’idéologie wahabite et takfiriste [1] dont il est issu, qui a tiré sa force des conséquences de l’occupation de l’Irak par les USA.
Il est devenu un acteur très actif dans les conflits armés où s’affrontent les États du Moyen-Orient et plusieurs coalitions d’intérêts géostratégiques internationaux, dont ceux des USA et de l’OTAN (notamment de la Turquie), de la Russie, de la France, et d’autres. Cet acteur stratégique a pris une dimension nouvelle par l’embrigadement de milliers de jeunes djihadistes musulmans sur le terrain moyen-oriental, dans tout le monde arabe et même en Europe. Il multiplie ainsi ses attaques terroristes non seulement sur les territoires qu’il contrôle mais aussi dans d’autres pays arabes et dans des pays comme la France et les USA, en poursuivant le fantasme d’imposer la domination mondiale de son califat.

Il s’agit d’un mouvement criminel dont il faut se protéger à l’intérieur des pays concernés par la défense des libertés et des principes démocratiques auxquels il s’attaque. Et au Moyen-Orient par des interventions internationales pour tarir ses sources de financement, s’opposer aux propagateurs des doctrines islamistes terroristes et engager des négociations de paix incluant la reconnaissance des mouvements populaires mobilisés pour le respect des droits de l’Homme et la démocratie.

Notes

[1] Les takfiri du mot arabe : تكفيري, de Takfir wal Hijra (en arabe : تكفير والهجرة, Anathème et exil, groupe fondé en 1971) sont des extrémistes islamistes adeptes d’une idéologie ultra-violente. Le terme takfiri signifie littéralement « excommunication » ce qui emporte le prononcé de la peine de mort. Les takfiris considèrent les musulmans ne partageant pas leur point de vue comme étant des apostats, ce qui les autoriseraient bien légitimement à verser leur sang. Pour mettre au pas leurs coreligionnaires, ils font donc un recours systématique à l’arme du takfir.

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Prochain zoom d’actualité à venir sur le sujet sur le site de Ritimo : "Comment résister à Daech ?"